Nunu-cheries

Le Procès de l’United States Radium Corporation

Date de publication
16 mai 2022

Temps de lecture
2 minutes

Série
Radium Girls (3/5)

Thématique
Culture & société

De 1917 à 1926, dans le New Jersey, une centaine d’ouvrières travaillent pour l’industrie horlogère. Les premiers décès des suites d’un empoisonnement au radium surviennent à partir de 1925. Parmi les victimes, certaines ont tenté de mettre en cause la responsabilité de leur employeur. Mais la loi sur les maladies professionnelles était insuffisante pour leur garantir une indemnisation. Elles ont tout de même lutté pour faire valoir leurs droits. J’enfile de ce pas ma casquette de juriste pour vous raconter l’histoire passionnante du procès de l’« United States Radium Corporation ».

Petit rappel des précédents épisodes

« Radium Girls » est le nom donné aux ouvrières américaines qui peignaient des cadrans de montres au début du XXe siècle. Pour les rendre luminescents, elles utilisaient une peinture au radium, élément hautement radioactif. Dans le premier épisode, j’ai partagé avec vous la découverte de cette incroyable histoire que retrace la BD de Cy.

Le deuxième épisode mettait en évidence l’effroyable mécanisme de fabrication du doute par l’industrie horlogère. Les dirigeants de l’entreprise USRC ont cédé à la corruption et à la falsification de rapports scientifiques. Les dangers de la peinture au radium ont ainsi été niés et cachés pendant de nombreuses années.

Marguerite Carlough : la première action en justice contre l’« United States Radium Corporation »

En 1925, Marguerite Carlough a 23 ans. Elle a dû quitter l’USRC pour laquelle elle peignait des cadrans de montres. En effet, malgré son jeune âge, elle a développé la « Radium Jaw » : une nécrose de la mâchoire. Cette pathologie est causée par le fait d’avoir ingéré régulièrement de petites quantités d’éléments radioactifs en lissant son pinceau avec les lèvres. Son état de santé se dégrade rapidement, sans aucune perspective de guérison. Elle cherche alors à poursuivre son ancien employeur.

L’absence de reconnaissance de la « Radium Jaw » comme maladie industrielle

Dans le New Jersey, une loi impose l’indemnisation de certaines maladies industrielles. Elles sont énumérées de manière limitative. Évidemment, la « Radium Jaw » ne figure pas sur la liste. Marguerite est donc confrontée à un vide juridique. Il n’existe aucun texte qui permette d’engager la responsabilité de son ancien employeur.

Par ailleurs, le lien de causalité entre les affections développées et l’absorption de peinture est difficile à caractériser. D’abord, les premiers effets visibles du radium sur le corps sont positifs. Il stimule la production de globules rouges. Les diagnostics réalisés sur des ouvrières qui travaillent depuis peu révèlent ainsi une excellente santé. Ensuite, les symptômes graves de l’empoisonnement n’apparaissent qu’au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années. Certaines victimes ont parfois arrêté d’exercer leur activité depuis longtemps. Les dentistes et médecins n’ont alors simplement pas l’idée de creuser la piste d’une maladie professionnelle.

L’inscription de la « Radium Jaw » dans la loi sur les maladies industrielles

Deux personnages entrent en scène. Ils vont jouer un rôle fondamental. Il s’agit de :

  • Katherine Wiley : secrétaire générale de la Ligue des consommateurs du New Jersey, elle milite activement pour que soit modifiée la loi sur les maladies industrielles.
  • Le Dr Martland : il vient de développer un test permettant de mesurer le taux de radioactivité dans l’air expiré. Grâce à son invention, il contrôle la concentration de radium dans le corps de Marguerite : le résultat est édifiant.

La combinaison de ces actions entraîne une réécriture de la loi. En 1926, la « Radium Necrosis » figure enfin sur la liste des maladies industrielles. Dès lors, les victimes peuvent espérer obtenir une compensation financière. C’est une grande victoire législative ! Malheureusement, Marguerite Carlough n’en bénéficiera pas. Elle meurt à la fin de l’année 1925 sans avoir eu le temps d’obtenir gain de cause. Mais son combat n’a pas été vain. Elle a ouvert la voie d’une action en justice à toutes les autres « Radium Girls » !

portrait de marguerite carlough
Marguerite Carlough, la première "radium girl" qui a intenté un procès contre l'USRC.

Grace Fryer et les « Radium Girls » : le grand procès de l’« United States Radium Corporation »

Albina Maggia Larice, Quinta Maggia McDonald, Grace Fryer, Katherine Schaub et Edna Hussman ont également travaillé à l’USRC. Elles développent de premiers symptômes alarmants : perte des dents, nécrose de la mâchoire, douleurs dans le dos et les articulations. Quand elles apprennent qu’elles sont condamnées par empoisonnement au radium, elles décident de se battre. L’affaire « Marguerite Carlough » leur donne espoir ; elles choisissent, elles aussi, de poursuivre en justice leur ancien employeur.

Une réécriture insuffisante de la loi sur les maladies industrielles

Très vite, les « Radium Girls » sont désillusionnées. En effet, si la loi intègre la « Radium Necrosis » parmi les affections justifiant une indemnisation, elle comporte néanmoins trois grosses limites.

  1. La nouvelle disposition n’est pas rétroactive. Cela signifie qu’elle ne s’étend pas aux cas d’empoisonnement qui se sont déclarés avant son entrée en vigueur, en 1926. Son champ d’application en est donc considérablement réduit.

  2. Le texte couvre seulement les nécroses. Or, les effets du radium sont multiples. Ils varient d’une personne à l’autre : anémie pernicieuse, fractures spontanées dans le dos, les hanches et les articulations, développement de tumeurs osseuses… Tous ces symptômes ne sont alors pas concernés par la compensation.

  3. La loi impose un délai de prescription très court. Les victimes doivent agir dans les cinq mois qui suivent la fin de leur emploi à l’USRC. Or, la plupart du temps, les pathologies se manifestent bien après ce délai. C’est le cas d’Albina, Quinta, Grace, Katherine et Edna.

Les chances de succès de leur action s’en trouvent considérablement amoindries.

L’interprétation astucieuse du délai de prescription

En 1927, Grace Fryer rencontre Raymond Herst Berry. Il n’est alors qu’un jeune avocat, mais il accepte de plaider leur cause. Il a une idée brillante. Selon lui, le délai de prescription ne pourrait courir qu’à partir du moment où les victimes ont eu connaissance de l’empoisonnement. En ce sens, le point de départ ne devrait être fixé qu’en 1925. C’est la date à laquelle le Dr Martland a prouvé la concentration d’éléments radioactifs dans le corps de Marguerite Carlough. Avant cela, les « radium girls » ne pouvait matériellement pas savoir que leurs pathologies étaient liées au radium.

La stratégie cynique de l’USRC

L’entreprise ne peut raisonnablement pas se défendre. Sa stratégie est de jouer la montre. Elle demande un report d’audience de cinq mois, qu’elle obtient. Le procès se poursuivra en septembre 1928. Or, l’état de santé des plaignantes se dégrade rapidement et de manière imprévisible. D’ici là, elles seront peut-être déjà mortes.

Dès lors, le juge chargé de l’affaire propose une conciliation. La procédure peut durer très longtemps. Pour couvrir leurs frais médicaux, les « radium girls » n’ont pas d’autre choix que d’accepter. Elles obtiennent le remboursement des soins par l’USRC, ainsi qu’une indemnisation. Mais le procès s’arrête là : aucune décision n’est rendue sur la responsabilité de l’entreprise dans l’empoisonnement de ses ouvrières. Cela implique qu’en droit, elle n’est reconnue coupable de rien…

Après cette épreuve juridique, l’état de santé des « radium girls » se stabilise. Elles survivent plus longtemps que ce que les médecins avaient annoncé. Poursuivant sa stratégie cynique, l’USRC fait savoir en 1932 qu’elle ne souhaite plus rembourser les frais médicaux « non essentiels »… La plupart des anciennes employées meurent seulement un an plus tard.

En conclusion, la victoire des « radium girls » est amère. D’un côté, elle constitue une étape fondamentale dans l’évolution de la protection légale des ouvrières aux États-Unis. L’affaire a été médiatisée et attentivement suivie par l’opinion publique. L’USRC est contrainte de fermer ses portes des suites, selon ses dires, de la mauvaise publicité engendrée par le procès. Mais d’un autre côté, aucune décision de justice n’a reconnu sa responsabilité. Les autres entreprises peuvent ainsi continuer sans crainte leur activité. Or, à quelques kilomètres du New Jersey, la « Radium Dial Company », qui produit des cadrans luminescents de montre, emploie des centaines d’ouvrières. On en parle dans le prochain épisode…

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