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Les conséquences de l’affaire des Radium Girls

les repercussions de l affaire des radium girls

Date de publication
19 septembre 2022

Temps de lecture
5 minutes

Série
Radium Girls (5/5)

Thématique
Culture & société

L’histoire des peintres de montres au radium est celle d’une lutte ouvrière et féministe. Les travailleuses empoisonnées se sont battues pour faire reconnaître la responsabilité de l’industrie horlogère. Mais quelles ont véritablement été les répercussions de leur combat ? Profitons de ce dernier épisode pour analyser les conséquences de l’affaire des « Radium Girls ».

Petit rappel des précédents épisodes

Parmi les nombreuses victimes du radium, certaines ont tenté de mettre en cause la responsabilité de leur employeur. Le combat a été long, mais a porté ses fruits. Il y a eu deux procès emblématiques : l’un dans le New Jersey contre l’USRC, l’autre dans l’Illinois, contre la « Radium Dial company ». L’industrie des cadrans luminescents a finalement été reconnue coupable pour mise en danger de ses employées.

Les conséquences de l’affaire des « Radium Girls » aux États-Unis : l’évolution du droit

L’affaire des « Radium Girls » n’a pas mis un terme aux activités de production de cadrans luminescents. Au contraire, l’implication des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale a eu pour effet de décupler la demande. Les montres au radium sont en effet particulièrement appréciées des militaires. Néanmoins, de nouveaux standards de protection se sont imposés. Évidemment, la méthode du « Lip Pointing », qui consistait à affiner le pinceau avec les lèvres, est interdite.

Le 29 décembre 1970 est adopté l’« Occupational Safety and Health Act ». Il s’agit d’une loi fédérale qui s’applique à l’ensemble des États-Unis. Elle réglemente les conditions de travail et impose aux entreprises le respect d’un certain nombre de normes de sécurité. Elle concerne en particulier les secteurs dans lesquels les personnes employées sont exposées à des produits toxiques, ou travaillent avec des machines dangereuses.

La loi crée également deux agences fédérales :

  • l’« Occupational Safety and Health Administration » (OSHA) qui adopte des règlements pour la sécurité et la santé au travail ;

  • Le « National Institute for Occupational Safety and Health » (NIOSH), un institut de recherche qui émet des recommandations pour la prévention des accidents et des maladies professionnelles.

Les implications dans le champ scientifique : l’avancée de la recherche sur les effets des radiations

Le combat des « Radium Girls » a poussé la communauté scientifique à s’intéresser de plus près aux effets des radiations. Les ouvrières se sont prêtées à une série de tests pour aider la recherche médicale. Biopsies, prélèvements sanguins, analyses de l’air expiré… mêmes mortes, leurs corps ont contribué à améliorer les connaissances grâce à des autopsies. Des examens ont également été pratiqués sur leurs proches. On s’est en effet aperçu que certains avaient été contaminés simplement en partageant le même lit.

La lutte pour la protection des travailleurs et travailleuses exposées aux radioactivités est néanmoins loin d’être terminée. Rappelons qu’à l’époque, le nucléaire suscite un énorme engouement. On est focalisé sur les perspectives de progrès à la fois médicaux, énergétiques et militaires. La première bombe atomique voit d’ailleurs le jour, sous l’impulsion de la Seconde Guerre mondiale.

La véritable prise en compte des dangers de la radioactivité est donc plutôt tardive. Dans le milieu scientifique, la précaution n’est d’ailleurs pas de mise. Marie Curie elle-même admet difficilement les risques encourus. À l’Institut du Radium, les produits sont manipulés sans prudence suffisante, y compris lorsqu’il est dirigé par sa fille, Irène Joliot-Curie. Anne Fellinger a écrit un article passionnant sur le sujet.

En savoir plus…

Anne Fellinger a soutenu en 2008 une thèse intitulée Du soupçon à la radioprotection : les scientifiques face au risque professionnel de la radioactivité en France. Dans son article « Femmes, risque et radioactivité en France », elle analyse les causes de l’insouciance des scientifiques face aux rayons ionisants.

Dans la première moitié du XXe siècle, une grande partie des scientifiques qui travaillent dans la recherche nucléaire sont des femmes. C’est l’un des seuls milieux professionnels dans lesquels elles peuvent réellement s’épanouir. Elles jouissent d’une importante autonomie. Le fait que Marie Curie, puis que sa fille Irène, dirigent l’Institut du Radium n’y est sans doute pas tout à fait étranger.

Ainsi, les risques impliqués par la manipulation des produits sont minimisés. Anne Fellinger relève même une sorte de « culture du martyre », quasi militaire. Le progrès scientifique justifierait de prendre certains risques. L’état de santé de Marie et Irène est d’ailleurs extrêmement fragilisé à cause de l’exposition aux radiations, dont elles sont mortes.

Des répercussions limitées en Europe : l’invisibilité des « Radium Girls » suisses et françaises

Bien entendu, la question se pose de savoir s’il y a eu des « Radium Girls » en Europe. Au début du XXe siècle, l’industrie horlogère y est développée, notamment en Suisse et en France. On y produit des montres luminescentes. Pourtant, il est très difficile, voire impossible de trouver des informations sur le sujet.

L’utilisation de la peinture au radium dans l’industrie horlogère suisse et française

Peu de choses ont été écrites sur la production de montres luminescentes françaises. On sait pourtant que l’industrie horlogère utilisait de la peinture au radium : une telle activité laisse des traces sur les lieux. En effet, l’USRC et la « Radium Dial Company » ont pollué de manière durable les sites sur lesquels elles étaient installées, à Orange et à Ottawa. En France, les lieux contaminés par des substances radioactives sont recensés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Or, certains d’entre eux ont accueilli des usines d’horlogerie. On peut donc en déduire que des peintres de cadran ont été exposés.

En Suisse, le pays de l’horlogerie, les médias se sont un peu plus emparés de la question. Il y a notamment cet article passionnant publié sur le site du journal Le Temps. La journaliste révèle que des centaines d’ouvrières ont manipulé la peinture au radium. Beaucoup travaillaient de chez elles, sans protection particulière. Il a fallu attendre 1963 pour que des normes de sécurité soient imposées. L’affaire des « Radium Girls » aux États-Unis a donc mis beaucoup de temps à avoir de l’impact.

En 2006, à Morteau, un flacon contenant des sels de Radium a été découvert dans un lycée horloger. Le produit était autrefois utilisé par l’industrie horlogère locale.

L’absence d’étude sur la santé des peintres de cadrans de montre en Suisse et en France

Parmi les ouvrières suisses, aucun cas de cancer ou de décès en relation avec cette activité n’a été recensé. Cette absence de données montre en réalité que les études statistiques sont extrêmement lacunaires. À l’époque, elles tenaient compte de l’ensemble des personnes exposées aux rayons ionisants sans dissocier les sources d’émission. Il est donc impossible de savoir combien de personnes ont développé des affections liées spécifiquement à la peinture au radium. Il semblerait en outre que la méthode du « Lip pointing » n’était pas appliquée. Cela pourrait expliquer que les effets aient été moins visibles.

Il y a tout de même une exception, dans le canton de Genève. Une étude menée dans les années 1970 par le Service de contrôle des irradiations révèle que certaines ouvrières affinaient le pinceau avec les lèvres. Elles ont développé le même type de symptômes que leurs homologues américaines. Par ailleurs, en 1959, des cas de radiodermites sur les doigts ont été signalés. Il s’agit de lésions cutanées qui apparaissent après cinq à sept ans de travail. Elles sont principalement visibles sur l’index : le doigt qui frôle le pot de peinture lorsque le pinceau est trempé.

En France, aucune étude statistique ni aucune enquête n’ont été menées sur les pratiques et les conditions de travail. Il est donc impossible de savoir quelles ont été les répercussions du radium sur la santé des personnes employées par l’industrie horlogère.

La production de montres au radium a laissé des traces encore visibles aujourd’hui. Les sites ayant accueilli cette industrie sont durablement pollués. À Orange, et à Ottawa, de nombreux cancers ont été diagnostiqués parmi les riverains. Par ailleurs, si l’affaire des « Radium Girls » a permis des avancées importantes, elle n’a pas pour autant permis de fermer le marché des produits radioactifs. Aux États-Unis, la limitation de l’usage industriel du radium ne date que de 1975. En France, les premiers textes interdisant l’utilisation de substances radioactives dans la fabrication de biens de consommation sont adoptés… accrochez-vous bien… en 2000 ! Effrayant, non ?

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