Nunu-cheries

J’utilise l’écriture inclusive et vous ne le remarquez pas !

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Date de publication
6 novembre 2023

Temps de lecture
5 minutes

Thématique
Culture & société

Allez, je me lance dans le débat « touchy » de l’écriture inclusive. Quand on s’intéresse au féminisme et qu’on fait de la rédaction son métier, difficile de ne pas s’y confronter. Comment faire pour concilier mon activité avec mes convictions profondes, alors que je suis amenée à travailler avec des personnes qui n’ont pas les mêmes que moi ? J’ai pris le parti de relever le défi.

Pourquoi j’utilise l’écriture inclusive ?

D’abord, parce qu’il n’y a aucune raison pour que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette règle, que l’on apprend très tôt à l’école, n’a d’ailleurs pas toujours prévalu. Avant le XVIIIe siècle, il était possible d’employer l’accord de proximité : on appliquait le genre du nom qui était le plus proche de l’adjectif dans la phrase. Prenons l’exemple suivant : Idris et Anna sont très polis. Avec l’accord de proximité, on écrirait plutôt : Idris et Anna sont très polies. De cette manière, le féminin peut autant l’emporter sur le masculin que l’inverse. On retrouve cette règle en latin et en grec ancien notamment.

Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, l’accord de proximité a laissé la place à la règle de primauté du masculin. D’après mes lectures, il me semble que c’est assez difficile d’expliquer pourquoi. Il y a sans doute eu une évolution dans l’usage de la langue. Certains grammairiens ont également posé leur pierre à l’édifice, en figeant la règle dans leurs manuels avec des justifications ouvertement misogynes.

« Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. »

Scipion Dupleix, Remarques sur la langue françoise, 1651

 

« Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »

Nicolas Beauzée, 1767

Difficile, donc, de digérer cette règle aux origines sacrément douteuses…

 

L’écriture inclusive s’attaque aussi à la féminisation des noms de métiers. Là encore, c’est tout un sujet ! Saviez-vous que de nombreuses professions s’accordaient au féminin au Moyen-Âge ? C’était le cas par exemple de « commandante », « inventeure », « chirurgienne », ou « mairesse ». Le nom « autrice », également, était utilisé entre le XVIe et le XIXe siècle avant de tomber aux oubliettes.

 

Pendant longtemps, l’Académie française a soutenu que le masculin tenait lieu de genre neutre, désignant indifféremment masculin et féminin. Pourtant, l’évolution de l’usage du féminin pour les noms de métier est étroitement liée à l’évolution du travail des femmes. Plus leur nombre augmentait dans une profession, et plus il devenait nécessaire d’en adapter le genre grammatical. Difficile, donc, de nier la relation qu’entretient le langage avec les mœurs d’une société. L’Académie française a d’ailleurs fini par reconnaître la féminisation des noms de métiers en 2019.

« Le masculin n’est pas un genre neutre, mais un genre par défaut. »

Anne Abeillé, professeure de linguistique à l’université Paris Diderot,
propos recueillis par Libération

Un combat secondaire dans la lutte contre le sexisme ?

J’ai souvent entendu qu’en matière d’égalité homme-femme, il y avait d’autres combats plus prioritaires que celui-ci. C’est vrai que la grammaire ne tue pas, contrairement à la violence conjugale. Je crois néanmoins que l’importance de cette question dépend de son rapport personnel, et professionnel à la langue. Je m’explique.

 

J’entends parfaitement que celles et ceux qui ne pratiquent pas quotidiennement l’écriture relèguent ces problématiques au second plan. Et c’est bien normal ! Il y a tellement de choses plus graves dans la vie. Et tellement de combats à mener ! On ne peut pas être sur tous les fronts. Mais quand son boulot c’est de rédiger, quand on passe ses journées le nez dans des textes, on voit forcément les choses un peu différemment.

Quand j’ai commencé ma thèse, je me suis plongée dans la lecture de nombreux ouvrages sur la protection des droits et libertés fondamentales. Croyez-le ou non, mais les juristes écrivent toujours « droits de l’homme », et non « droits de l’Homme ». Mettre une majuscule à « État » lorsqu’il désigne l’institution politique ne pose aucun problème. Mais à « homme », non. Ça n’est pas possible. Alors même que c’est une règle grammaticale reconnue par l’Académie française ! Comme quoi, on peut toujours s’arranger avec les conventions. Pour être totalement honnête, il y a quand même quelques chercheurs et chercheuses qui emploient la bonne orthographe (surtout des chercheuses d’ailleurs… tiens donc !). Mais très peu statistiquement. Et c’est un peu irritant de lire des paragraphes entiers consacrés à l’égalité dans des manuels sur les « droits de l’homme ».

 

Vous comprenez pourquoi, lorsque la langue est son outil de travail, la question devient beaucoup moins secondaire ? J’ai donc choisi d’utiliser l’écriture inclusive dès que je rédige un texte. Mais jusqu’à aujourd’hui, vous ne l’avez probablement pas remarqué ! N’est-ce pas ? Je vais vous expliquer pourquoi.

L’écriture inclusive n’est pas forcément illisible !

L’une des critiques faites à l’écriture inclusive, c’est de complexifier l’orthographe et d’exclure une catégorie de la population qui n’est déjà pas à l’aise avec. Or, la langue française n’a pas attendu cette évolution pour être excluante. S’il y a bien un domaine dans lequel Jean-Michel ou Jacqueline, que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam, se permet de vous remettre à votre place quand vous faites une erreur, c’est bien l’orthographe ! Pourtant, il y a des tas de raisons pour lesquelles on peut avoir des difficultés en la matière, d’ordre cognitif notamment, mais aussi personnel. Mais c’est un autre sujet (qui sera sans doute l’objet d’un prochain billet). En outre, on peut tout à fait écrire de manière inclusive sans rendre son texte illisible.

L’épineuse question du point médian…

La complexification est une critique que je trouve malgré tout audible. La plupart du temps du temps, elle vise surtout l’usage du point médian. C’est celui qui vient remplacer les parenthèses quand on veut introduire le féminin dans un énoncé. Par exemple, au lieu d’écrire « les commerçant(e)s », on écrit les « comerçant·e·s ». En gros, on part de l’idée que les parenthèses sont faites pour encadrer une idée secondaire. En les utilisant pour le « e », la marque du féminin, on induit que ce dernier est accessoire. Le point médian atténue cette symbolique.

 

C’est vrai que lorsqu’il est beaucoup exploité dans un texte, il peut le rendre un peu moins digeste. En outre, même d’un point de vue féministe, je ne suis pas certaine qu’il soit complètement satisfaisant. En effet, c’est toujours la forme masculine qui demeurent entièrement écrite, le « e » apparaissant seulement comme additif. Donc plus le temps passe, et plus j’essaie de m’en passer. Fort heureusement, il y a plein de solutions alternatives !

Synonymes épicènes et autres subterfuges…

L’écriture inclusive n’est pas forcément plus complexe et moins lisible. C’est notamment ce que j’ai découvert grâce à une masterclass animée par Isabelle Meurville, traductrice et formatrice experte en français inclusif. Il existe tout un tas de petites techniques qui permettent de contourner la primauté du masculin. Je vous en livre quelques-unes ?

  1. Trouver des synonymes épicènes : un mot épicène est un terme qui désigne indistinctement le masculin et le féminin. Par exemple : personne, population, spécialiste, artiste, camarade, parent… Quand je sèche, je cherche dans le dictionnaire des synonymes épicènes créé par Isabelle Meurville. Pratique et bien fichu !

  2. Recourir aux doublons : les travailleurs et travailleuses, les cousins et cousines… Vous allez me rétorquer que les répétitions alourdissent le texte. Mais vous éviterez cet écueil si vous les utilisez de manière parcimonieuse. D’où l’intérêt de varier les méthodes !

  3. Modifier la phrase pour obtenir une construction neutre : au lieu d’écrire « les enfants sont allés voir la mer » — l’accord du verbe « aller » pose problème puisque dans les enfants, il y a des filles et des garçons — on préférera « l’école a emmené les enfants voir la mer » ou « les enfants ont pris le bus pour aller voir la mer ».

  4. Accorder avec le genre du plus grand nombre : si on sait que parmi les enfants, les filles sont plus nombreuses que les garçons, on écrira : « les enfants sont allées voir la mer ». Mais si c’est déjà un peu trop punk, vous pouvez toujours choisir la solution n° 3. 😉

  5. Appliquer l’accord de proximité : encore plus punk ! Mais on l’a vu plus haut, l’accord de proximité s’appliquait au XVIIesiècle. Pourquoi ne pas lui redonner ses lettres de noblesse ? Concrètement, on retient le genre du nom le plus proche de l’adjectif ou du verbe. On pourra ainsi écrire « les filles et les garçons sont allés à l’école », mais aussi « les garçons et les filles sont allées à l’école ».

De cette manière, l’écriture inclusive ne se remarque quasiment pas. Elle ne complexifie pas la lecture, et ne tombe donc pas dans l’écueil d’en limiter l’accès aux personnes déjà converties. Et côté professionnel, cela me permet de l’utiliser avec mes clients et clientes sans que cela crée de difficulté.

Alors oui, bien sûre, l’écriture inclusive demande de se creuser un peu la tête. Je comprends parfaitement qu’on n’ait pas le goût d’y prêter attention pour un mail rapide ou un texto — moi-même je ne le fais pas toujours d’ailleurs. Mais en tant que professionnelle de la rédaction, je considère avoir une certaine responsabilité à travers ce que je produis. C’est à celles et ceux qui manient la langue tous les jours de faire avancer les choses. Alors même si ça demande de revoir ses réflexes et de mettre en place de nouvelles mécaniques, je suis convaincue que ça vaut le coup. Et c’est un challenge quotidien qui m’amuse beaucoup !

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