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Gaston Lagaffe et le travail : trois leçons à méditer

gaston lagaffe et le travail

Date de publication
29 avril 2024

Temps de lecture
3 minutes

Thématique
Culture & société

Dans la bibliothèque de mon père, il y avait tous les classiques de la bande dessinée : Tintin, Astérix et Obélix, Lucky Luck… Parmi ces héros, celui que j’ai toujours préféré, c’est Gaston Lagaffe. Plus jeune, il me faisait mourir de rire. Je pouvais relire les albums mille fois. En grandissant, je lui ai découvert une dimension philosophique et politique. Gaston est, à sa manière, un contestataire. Il remet en cause les valeurs du monde de l’entreprise, en questionnant notre rapport au temps libre et à la créativité. Relire Gaston est devenu indispensable pour repenser notre rapport au travail ! Et pour vous en convaincre, voici trois leçons que l’on peut tirer de cet antihéros touchant et désarmant.

Leçon n°1 : une philosophie de la procrastination

Principe numéro un de la philosophie de Gaston : toujours remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même… du moins quand il s’agit de tâches barbantes, telles que trier le courrier. Les papiers s’entassent sur son bureau et forment des piles vertigineuses qui font hurler Fantasio – ou Prunelle, selon les albums.

La procrastination de Gaston n’est pas seulement comique. Elle invite à prendre du recul sur le travail, et à réfléchir à l’urgence des tâches. Gaston prend le contre-pied de ce sentiment répandu, dans le monde de l’entreprise, d’être toujours en retard, de ne pas avoir le temps de tout faire. Son courrier n’est certes jamais traité, mais le journal Spirou tient debout. C’est donc bien qu’il n’est pas toujours nécessaire de se mettre la rate au court-bouillon !

On dit qu’il ne faut pas repousser au lendemain ce que l’on peut faire le jour même. Mais on oublie souvent que la réciproque est toute aussi juste. Ce qui ne peut pas être fait le jour même doit être repoussé au lendemain ! Le temps n’est pas étirable. On accumule les heures supplémentaires, pas toujours payées, pour avoir le sentiment d’avancer. Gaston propose une alternative : refuser la surcharge et surtout, ne pas s’autoflageller. Plus facile à dire qu’à faire !

Ce qui ne peut pas être fait le jour même doit être repoussé au lendemain !

* À écouter :
« Surtravail : quand on aime, on ne compte pas », Entendez-vous l’éco ?, Tiphaine De Rocquigny, France Culture, 8 avril 2024

Leçon n°2 : de l’importance de la paresse

Gaston est un modèle de paresse. On ne compte plus les planches dans lesquelles on le voit piquer du nez, assis à son bureau, dans un hamac, et parfois même debout. Ces siestes inopinées – certes, nombreuses – sont bien plus inspirantes qu’elles n’en ont l’air ! Entre nous : qui arrive à prendre un temps de repos dans sa journée de travail sans culpabiliser ? Sans penser aux mille tâches à accomplir quand il faudra rouvrir les yeux ?

La paresse a très mauvaise presse ! Mère de tous les vices, dit-on. Il est difficile d’assumer un peu de fainéantise quand le travail est socialement survalorisé. C’est une valeur en soi. Peu importe ce que l’on fait, ce qui compte, c’est de s’affairer à la tâche. Les économistes parlent même d’un phénomène d’accoutumance au travail*. On a complètement oublié comment ne rien faire. Apprendre à se reposer est devenu un vrai effort !

C’est également une nécessité. Il faut s’ennuyer pour apprendre à se connaître ! Le fait d’être toujours en action est une manière d’éviter de passer du temps avec soi-même. Mais comment avoir conscience de ses véritables aspirations quand on cherche constamment à se fuir ?

Apprendre à se reposer, c’est un vrai travail !

Le manque de repos n’est pas seulement une question philosophique. La corrélation entre la surcharge de travail et l’augmentation des risques cardio-vasculaires est aujourd’hui bien établie. Sans parler du burn-out qui peut avoir des répercussions psychologiques et physiques à très long terme.

Réduire la cadence est aussi un enjeu écologique. Le surtravail va de pair avec la surproduction, l’épuisement des ressources naturelles, et les pollutions qui en résultent. C’est l’idée derrière le concept de sobriété écologique qui invite à remettre en cause la sacro-sainte croissance économique. Il faudrait produire moins, consommer moins, laisser la Terre respirer, et nous aussi par la même occasion. Voilà pourquoi Gaston Lagaffe est bien plus sage et avisé que ce qu’il n’y parait !

Leçon n°3 : perdre son temps pour créer

Si Gaston Lagaffe ne traite pas son courrier dans les temps (voir même pas du tout), il n’est pas inactif pour autant. Bien au contraire : c’est un modèle de créativité ! Si ses multiples inventions foireuses, et les accidents qu’elles occasionnent sont redoutablement comiques, elles illustrent aussi très bien le processus de recherche.

La création demande du temps. Et je ne parle pas seulement de création artistique ! Dans toutes les tâches qui nécessitent de trouver des solutions à des problèmes, il nous faut imaginer des chemins détournés, inventer de nouveaux processus. Qu’il s’agisse d’installer une étagère, d’analyser un bilan comptable ou de réaliser une affiche : on a toujours besoin, à un moment donné, de faire appel à notre créativité.

Et cela nécessite souvent de prendre le temps de faire un pas de côté ; de regarder les choses sous un nouvel angle. La solution arrive d’ailleurs souvent au moment où l’on s’y attend le moins ! Qui n’a jamais eu de « Eureka » au cours d’une promenade par exemple ? Le cerveau fonctionne très bien en second plan. Il a même parfois besoin qu’on se concentre sur d’autres tâches pour faire émerger de nouvelles idées.

Innover, c’est essayer et se planter. Autrement dit, il faut perdre son temps pour avancer ! La tendance à ne valoriser que les résultats quantifiables peut complètement bloquer le processus. Alors qu’en réalité, les tentatives infructueuses sont loin d’être du temps perdu. Au contraire, le chemin parcouru est souvent tout aussi intéressant, si ce n’est plus, que le résultat escompté !

Procrastiner pour lutter contre la surcharge de travail, paresser pour prendre soin de soi et de l’environnement, perdre son temps pour être créatif… trois leçons que nous enseigne la lecture (ou la relecture) des albums de Gaston Lagaffe ! Loin d’être seulement un clown perdu dans une maison d’édition, cet antihéros nous invite à une réflexion profonde sur le sens de notre suractivité. Et vous, quel est votre rapport au travail ? Plutôt détaché comme Gaston, ou surimpliqué comme Prunelle ?

Pour aller plus loin…

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